Agir aujourd'hui pour mieux choisir demain - épisode 1 avec Jean-Christophe Péraud

Jean-Christophe Péraud, coureur cycliste français, a marqué le monde du VTT cross-country jusqu’en 2009, devenant champion d’Europe en 2005 et vice-champion olympique aux Jeux de 2008. Il a également remporté le titre de champion du monde en relais en 2008. À l’âge de 32 ans, il a réussi sa transition vers le cyclisme sur route en 2010, ajoutant le titre de champion de France amateurs en 2008 et de champion de France du contre-la-montre en 2009 à son palmarès. Sa deuxième place au Tour de France en 2014 aura marqué l’apogée de sa carrière sur route.

En dehors du sport, il a poursuivi avec succès ses études en génie chimique et génie des procédés, obtenant un diplôme d’ingénieur de l’INSA de Lyon en 2004. Cette polyvalence reflète sa détermination exceptionnelle et fait de lui un invité de choix pour le podcast “Agir aujourd’hui pour mieux choisir demain”.


Depuis l’IUT de Paul Sabatier, jusqu’à l’INSA de Lyon, vous avez toujours continué vos études en parallèle de votre carrière sportive. Pourquoi avez-vous concilié sport et études ?

Au début, un peu pour faire plaisir à papa et maman. Puis après, par goût tout simplement. Je me suis intéressé par ce que j’apprenais en formation. Cela me permettait de ne pas être exclusivement orienté sport et dépendant totalement de celui-ci. Le sport c’était ma passion et aussi mon métier. Mais les études me permettaient de donner moins d’importance au sport et qu’il ne soit pas uniquement le vecteur de ma vie.


En quoi pensez-vous que la poursuite des études est importante pour un athlète de haut niveau ?

Le double projet construit en tant qu’homme. Le sport de haut niveau ce n’est pas uniquement un corps bien fait et des aptitudes physiques. C’est aussi une tête. Le mental joue beaucoup. Je pense qu’en se formant, tout en se posant des questions sur la formation etc, cela permet in fine, d’être plus performant dans son sport. C’est-à-dire, quand tu fais tes études, tu es toujours dans une position de questionnement, d’apprentissage. C’est cet état d’esprit, que tu peux retranscrire dans le sport. Tu peux te questionner dans ton sport, sur comment tu le fais, etc. À ce moment-là, tu deviens plus pertinent et plus fort dans ta pratique.


Quelles ont été tes questionnements ? Est-ce que tu as pensé à arrêter le cyclisme ? Ou alors les études ?

« Arrêter les études ? », oui cette question s’est posée à la fin de mes études. Car, est-ce qu’il fallait prendre un poste, car un diplôme peut se dévaloriser si on n’exerce pas. J’ai eu la chance de ne jamais en arriver là. Sinon, tout arrêter aurait été le mauvais choix. A posteriori, je m’aperçois que des formations, tu peux en faire toute ta vie et que la vie n’est faite que d’associations de morceaux. Quelquefois, tu peux prioriser certaines choses, sans que pour autant, cela te ferme d’autres voix pour le futur.



Comme vous le dites, « Le mental joue beaucoup ». Mener un double projet n’est pas simple. Des exemples de burnout comme dernièrement celui de la jeune cycliste suisse Marlen Reusser. Comment avez-vous abordé ces « deux fronts » ?

C’est étonnant, c’est un peu une dualité. Au niveau du calendrier lors d’un double projet, c’est deux fois plus chronophage, ça prend beaucoup plus de temps. Donc, on pourrait croire que c’est une surcharge, mais pour autant, c’est une décharge d’un point de vue mental. C’est-à-dire, que tu n’es plus focalisé seulement sur un objectif, ce qui te permet de lui donner moins d’importance, qu’il soit sportif ou scolaire, car tu vas te focaliser sur un autre objectif. Les choses sont alors dédramatisées puisque ta concentration sur le pôle sportif et scolaire varie en fonction du temps et des échéances. Cette décharge mentale est bénéfique pour l’athlète, du côté sportif, mais aussi scolaire. Cela demande plus de temps d’un point de vue chrono. Mais cela donne plus de capacités mentales pour aller plus loin dans les deux objectifs.



Un peu une bulle d’air d’avoir le sport d’un côté et les études de l’autre ?

Exactement, c’est une bulle d’air qui permet de décharger sur un autre objectif tout aussi important. Tu passes d’un objectif cérébral à un objectif sportif. C’est cette fameuse bulle d’air que cela t’apporte.



Alors, mettre un terme prématurément à ses études, un risque ?

Le risque est le risque mental d’être 100% focus sur le sport et donc, lui donner beaucoup trop d’importance, ce qui pourrait grignoter petit à petit l’athlète. De par mon expérience, je me suis aperçu, que la formation est accessible tout au long de la vie. Récemment, je suis retourné à l’école. Les voix ne sont jamais totalement fermées, il y a toujours des opportunités. Mais pour autant, le double projet permet d’être mentalement équilibré. On a parlé de burnout dans le monde du sport, c’est un déséquilibre marqué. De la même manière, dans le monde professionnel, il y a aussi des burnout. On charge trop la balance d’un côté ou alors, il n’y a tout simplement pas d’autre côté à la balance et on en arrive au burnout. D’une manière générale, la vie est une question d’équilibre. Il faut un moyen de « s’évader » d’une des priorités. Pour moi, avoir une vie équilibrée c’est avoir deux priorités qui peuvent équilibrer la balance.



Si nous continuons à prendre des exemples concrets présents dans le monde du sport. Depuis quelques années, nous entendons beaucoup parler de “jeunes talents prometteurs”. Vous êtes passé professionnel sur route, à l’âge de 32 ans. Avez-vous des préoccupations concernant la tendance à devenir uniquement sportif professionnel dès le plus jeune âge ?

À l’époque, avoir 32 ans était déjà un problème lorsque je voulais passer professionnel sur route. J’ai commencé ma carrière sur le VTT. J’ai une carrière longue de 19 ans. Si nous faisons l’audit du monde du cyclisme, il y a plein de choses à dire. En tant que papa, j’ai mon enfant qui veut être sportif de haut niveau en cyclisme. Mais le fait qu’à 19 ans, il faille être au top niveau pour passer pro, cela m’inquiète en tant que papa. Je ne suis pas sûr qu’à 19 ans, on soit vraiment des adultes. Moi personnellement, je ne savais pas ce que je voulais faire à ce moment-là. C’est un côté du microcosme du cyclisme qui me gêne. À vouloir à tout prix professionnaliser des gamins en fait, super tôt. Le modèle Pogačar, Evenepoel ont fait leurs preuves, mais comme d’autres l’avaient fait il y a 10 – 15 ans. Je pense, que nous ne sommes pas assez ouverts d’esprit dans le cyclisme. Les modèles de perf et les chemins à la haute perf sont infinis. Chacun à sa maturité à son moment, c’est dommage de suivre ce qu’il se fait de bien en ce moment, pour se couper d’autres modèles de perfo qui sont tout aussi bien. Je pense, que dans le monde du vélo, tout le monde se regarde du coin de l’œil et se copie et finalement, manque parfois de recul. Je suis certain, qu’il n’y a pas une seule manière de performer. Certes, le fait d’avoir des gamins à 19 ans qui sont prêts à passer pro et à gagner le Tour de France fonctionne. Pour autant, je suis persuadé, qu’il y aura des jeunes adultes qui à 25 ans vont passer pros et seront capable de gagner le Tour de France à 28 – 29 ans. À trop vouloir faire tous la même chose, on va se couper de potentiels talents.



Oui, Evenepoel a brillé dans les catégories jeunes. Mais pas Vingegaard ou Roglič…

Exactement, on va se couper de ce genre d’athlète. On ne va pas leur donner leur chance. Maintenant, on voit toutes les équipes conti pros qui se montent. Donc le seul chemin en France sera celui-ci. Il y aura le sport jeune au niveau national qui sera jusqu’à la catégorie junior. Puis, tu seras détecté pour aller en conti. Il n’y a quasiment plus de sport amateur. Les DN1, DN2 voient leurs niveaux diminuer. Des athlètes qui arriveront plus tardivement ne seront pas repérés. La réalité elle est là. Dorian Godon est un exemple d’un des mecs qui arrive sur le tard. Donc on va se fermer à ce genre d’athlète.

 

Pendant vos 19 ans de carrière ou alors maintenant, quel a été l’avantage d’avoir un diplôme ?

À la fin de mes études, j’ai longtemps cherché un mi-temps pour pouvoir continuer à faire du sport à haut niveau. Ma formation m’a construit en tant qu’athlète et m’a poussé à me questionner sur ma pratique. Lorsque j’étais coureur, je n’étais pas un automate sur un vélo, à récupérer un plan d’entraînement et à le faire. Je voulais absolument comprendre ce qu’il y avait dessous. Ce cliché de l’ingénieur qui veut toujours comprendre, c’est ce qui m’a servi dans le choix du matériel, les choix techniques etc. Donc oui, les études m’ont aidées dans ma carrière de cycliste.

 

Le modèle du cyclisme français est-il en train de tomber ?

Le monde du cyclisme actuellement, est fermé. C’est triste à dire, mais si maintenant, on a l’opportunité d’aller en conti, il faut aller en conti. Je pense, que les décideurs réfléchissent mal. Avoir des gamins qui n’ont pas encore le mental d’adulte ne vont pas exploiter correctement leurs capacités physiques alors que s’ils avaient un peu plus de maturité.

Le modèle conti transforme très clairement le modèle français. Je pense, que la FFC effectuera son travail sur les catégories cadets, juniors. Après, ils se feront « sortir » par le monde professionnel qui prend le relais sur les U23. Pour moi, c’est un mauvais calcul dans le sens où finalement, le club amateur formait « gracieusement » les athlètes français. Le niveau du monde amateur était à l’époque le même que celui de la conti. Maintenant, les équipes pros ont créé leurs propres équipes conti. Les athlètes ne vont pas plus vite mais par contre, maintenant la charge est prise directement par le monde professionnel. Donc pas sûr que le calcul soit très bon.

 

La France a été mise en avant lors des derniers championnats du monde en Écosse. Julie Bego, 19 ans, remporte l’épreuve sur route Juniors, Femmes. Licenciée au Team Féminin de Chambéry, elle continue ses études d’ingénieur à l’Université de Savoie. Pour son premier contrat professionnel, elle a choisi une équipe qui lui permet de continuer ses études. L’année prochaine, elle sera sous les couleurs de la Cofidis.

Les meilleures équipes seront celles qui écoutent leurs athlètes. Une équipe, c’est accompagner les athlètes vers la performance. Et c’est l’athlète qui fait la performance. Donc être à leur écoute, c’est juste la base. On a des modèles de performances et des envies qui sont différentes car nous avons des individus qui sont tous différents. Il faut donc s’adapter. 

 

Mais alors selon vous, pourquoi les équipes cyclistes renoncent-elles aussi facilement à proposer un accompagnement bi qualifiant ?

Très certainement, pour des aspects logistiques et de performance. C’est-à-dire, que c’est plus facile d’avoir un athlète disponible tout le temps pour aller faire une course, plutôt que d’adapter son calendrier à une formation. C’est se simplifier la vie en fait. Je pense que c’est la facilité qui pousse à ça.

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