Agir aujourd'hui pour mieux choisir demain - épisode 2 avec Julie Bego

Julie Bego, jeune prodige du cyclisme, a déjà inscrit son nom en lettres d’or dans l’histoire de la discipline. À seulement 19 ans, elle a décroché la médaille d’or aux championnats du monde juniors en 2023.  Fraîchement passée professionnelle au sein de l’équipe Cofidis, elle s’apprête à découvrir le peloton du monde professionnel.

Au-delà de sa carrière cycliste, Julie Bego incarne l’exemple d’une jeune athlète qui excelle tant sur la route qu’en dehors. En parallèle de ses exploits sur le vélo, elle réalise également des exploits sur les bancs des écoles, avec notamment un Bac obtenu avec une mention très bien, ainsi qu’une première année de prépa validée. Actuellement en école d’ingénieur, renoncer aux études ou au cyclisme, ce n’est pas une question qu’elle envisage. C’est avec détermination, qu’elle nous démontre que tout est possible. 

 

Dernièrement, tu as brillé en remportant le titre de championne du monde. J’aimerais revenir au commencement de tout ça. Au tout début de ta pratique sportive. Comment cette passion pour le vélo s’est révélée pour toi ? Tu as commencé par quoi ? (Quel âge, quel club, qui t’a transmis cette passion ?)

Au tout début, je faisais beaucoup de sport avec mes parents, du ski de randonnée, du VTT. Tout ça, en famille, sans compétition. Après, j’ai commencé par l’athlétisme, pendant 1 an, à Bourgoin-Jallieu. Je faisais toutes les disciplines, sauf que moi, ce qui me plaisait vraiment, c’était la course à pied. Sauf, que quand on est dans les jeunes catégories, il faut tout faire. Donc le lancer, les sauts et la course à pied. Au final, comme je n’aimais pas les lancer et les sauts, j’ai eu envie de voir et de faire autre chose. Un jour, il y avait une course de vélo à côté de chez moi. Donc j’ai dit à mes parents que je voulais absolument y participer. J’ai alors pris une licence à la journée en tant que benjamine 1. J’avais mon VTT avec des pédales plates. À cette course, je termine 2ème au scratch et première fille. J’avais vraiment adoré. Après, il y avait un cyclo-cross pas très loin de notre maison secondaire en montagne, à la Léchère. Comme pour ma première course, j’ai pris une licence à la journée pour participer à mon premier cyclo-cross. Je voulais voir ce que c’était. C’est à ce moment-là, que nous avons rencontré le club de Chambéry. Comme mon grand-père, et beaucoup de personnes de ma famille étaient à Chambéry, j’ai décidé de m’inscrire au club de Chambéry. C’est comme ça que ça a commencé.

Donc une passion qui est venue très tôt

Oui ! Puis surtout, depuis toute petite, j’adorais regarder le Tour de France. Ça me faisait rêver. Je pense que je m’imaginais déjà faire du vélo en compétition, mais je n’avais pas encore eu l’idée de m’inscrire dans un club et de faire de la compétition.

Au niveau comptable, la saison 2023 est très réussie. Tu as su te démarquer sur le vélo, tout en réussissant ta première année d’études supérieures. Comment gères-tu ce double-projet ? Est-ce que c’est aussi important pour toi de réussir sportivement que scolairement ?

Pour moi, oui c’est aussi important de réussir sportivement que scolairement. Il y a 2 ans, là où j’étais la plus fière, c’était d’avoir eu mention très bien au bac, avec les félicitations du jury. Donc là cette année, en rentrant en école d’ingénieur, je savais que ça allait être plus dur. Sachant, qu’en plus, j’avais décidé de faire ma première année de prépa en 1 an seulement. Donc sans horaires aménagés. J’avais quand même une preneuse de notes, pour quand je n’étais pas là. Je pouvais m’absenter éventuellement lors des compétitions ou des entraînements. Mais j’avais tous les cours. C’était assez chargé. La plupart du temps, je faisais les allers-retours à la fac en vélo. J’habite à 23 kilomètres de la fac. Donc le matin, je partais en vélo, après j’allais en cours, puis quand je revenais en vélo le soir, je rallongeais par les collines pour faire environ 40 kilomètres l’après-midi. Ça m’a permis de bien m’entraîner, de progresser, de faire de l’endurance. Ce n’était pas l’idéal, car ça faisait beaucoup de fatigue psychologique en plus, du fait de rouler deux fois dans la journée. Mais j’ai pu bien progresser ! Le fait d’aimer ce que je faisais en école d’ingénieur puis le fait de faire ma passion qui est le vélo, m’a beaucoup aidé. J’étais contente quand j’étais en cours, mais aussi quand j’étais sur le vélo. Tout s’est passé pour le mieux et cela m’a permis de bien réussir cette saison. 

Et ça a dû forger ton mental ! Parce que tu commences ta journée par du vélo, donc souvent tôt le matin. Ensuite, tu as ta journée de cours. Puis, de retour sur le vélo. En plus à cette période, hivernale, ça ne doit pas être facile

Oui, les périodes comme celle-ci, j’ai la frontale sur le vélo. C’est sûr que ça forge le mental. Même quand il pleuvait ou qu’il faisait froid, j’étais sur le vélo. C’est des conditions qu’on retrouve en course. Des fois, ce n’est pas facile, il fait froid, il pleut, il y a du vent. Mais je pense, que c’est important d’avoir ces conditions à l’entraînement pour être performant en course.

Si on revient en arrière. Nous sommes en 2022. Qu’est-ce que tu dirais à Julie Bego, 17 ans, qui vient de passer en Junior et qui en septembre, fait sa rentrée en études supérieures ?

Je lui dirais de bien s’accrocher quand même. De rester motivée, car c’est vrai, que des fois, à l’approche des examens par exemple, c’est toujours dur car il y a une grosse charge de travail. Mais au final, même si sur le moment, cela paraît très dur, j’ai toujours réussi à m’en sortir. C’est toujours faisable. Que ça soit à l’école ou sur le vélo, de ne jamais rien lâcher, même si certains moments sont un peu plus compliqués que d’autres avec la charge de travail, tout finit par s’arranger et cela assez vite.

Est-ce que tu t’es sentie soutenu dans ton projet, que ça soit par l’école ou par ton club ?

Oui oui, j’ai été très soutenue par l’Université Savoie Mont-Blanc. Je n’avais pas d’aménagement car j’avais décidé de ne pas étaler mes études. Mais ils ont quand même tout mis en place. C’est-à-dire, que j’avais une preneuse de notes pour quand je n’étais pas là. Je pouvais m’absenter de tous les cours que je voulais pour les entraînements ou la compétition. Après, je ne voulais pas en abuser parce que si je n’allais pas en cours, j’allais avoir du mal à comprendre. Je pouvais également changer de groupe de TD et de TP si jamais je loupais un jour. En plus de tout ça, j’avais accès libre à la salle de musculation, aux équipements sportifs du gymnase etc… Les professeurs étaient très compréhensifs. Lorsque je rencontrais quelques difficultés dans une matière, l’université mettait en place des heures de soutien.

C’est sympa de faire ça ! c’est une façon de montrer aux élèves qu’ils sont derrière eux. Ils devaient être fiers de te voir lever les bras à Glasgow ?

C’est sûr. Puis ce qui est bien à l’Université Savoie Mont-Blanc, c’est que nous sommes pleins de sportifs de haut niveau. Beaucoup viennent du ski et cela est vraiment intéressant. Entre nous, on se comprend et c’est enrichissant de parler à d’autres personnes qui viennent d’autres sports, de voir d’autres méthodes de travail, d’entraînements.

Quand on fait une saison comme celle que tu as effectuée en 2023, cela a un impact direct sur ta notoriété. Est-ce que c’était un moment difficile pour toi ? Est-ce que tu étais un peu préparée à cela ?

Je pense qu’on n’est jamais trop préparé à ça. Sur le coup, je n’ai pas eu trop d’interviews, à part les conférences de presse. Mais je n’avais pas eu d’autres demandes. C’est surtout venu après, en septembre – octobre, où là, j’ai eu plein de demandes de journalistes. Quand on ne s’y attend pas, c’est un peu pesant, car j’ai beaucoup de travail avec l’école, le vélo. Donc de trouver des horaires, ce n’est pas toujours facile. Il faut aussi savoir dire non à certaines personnes car sinon, il y en a trop. Donc oui, c’était quelque chose de nouveau pour moi à gérer. Après j’ai bien aimé aussi ! On ne peut pas que s’en plaindre de toutes ces sollicitations. Mais c’est sûr, que c’était quelque chose pour laquelle je n’étais pas préparée. Puis, je pensais que ça viendrait tout de suite après le titre mondial au mois d’août, pendant la période où j’étais en vacances. Mais non, c’est venu plus tard. J’ai aussi eu toutes les demandes de récompenses de fin de saison. Quand c’est comme ça, je pense qu’il faut apprendre à trier les demandes, répondre à certaines et s’excuser auprès des personnes auxquelles on ne peut pas répondre.


Comment as-tu vécu ce moment ?

Un peu comme une surcharge mentale. Au début, je voulais répondre à tout le monde, mais je me suis vite rendue compte que ça allait me prendre trop de temps. Les lives vidéos par exemple, les choses comme ça se préparent. Dans ce cas-là, je disais non.

Quand tu jettes un regard sur ta dernière saison avec le Team Féminin de Chambéry, sur tes championnats du monde et tes championnats d’Europe. Qu’est-ce que tu te dis ? Est-ce qu’il y a un mot, une phrase qui te vient à l’esprit ?

Un mot qui me vient à l’esprit, c’est l’équipe. Cette année, j’ai vraiment appris à courir en équipe et vu ce que c’était une équipe. J’ai vu qu’une équipe peut apporter de superbes victoires comme aux Championnats du monde, où il y avait une vraie cohésion entre nous. On était vraiment soudées. Mais parfois, c’est peut-être plus difficile à mettre en place, comme lors des Championnats d’Europe. Même avec Chambéry, quelquefois ça marchait mieux, des fois moins. Cela m’a permis de comprendre que construire une équipe c’est dur à faire, ça prend du temps. Quand on arrive à bien faire fonctionner toute une équipe ensemble, cela donne des choses extraordinaires.


Avec un palmarès comme le tien, de nombreuses équipes ont dû te contacter. Qu’est-ce qu’on ressent à ce moment-là ?

Finalement, il n’y avait pas tant d’équipes qui m’avaient contactée. J’ai signé avant les mondiaux. C’est peut-être aussi pour cela qu’il n’y en avait pas autant. Mais après oui, c’est toujours un peu stressant quand des équipes nous contactent, en tout cas, pour ma part ça l’était, dans le sens où l’on sait qu’à un moment donné, il faudra faire un choix. En tout cas, c’était mon impression. Celui de devoir faire un choix, sans avoir toutes les données pour pouvoir le faire. Forcément, comme on n’est pas dans l’équipe, on ne peut pas savoir comment ça se passe à l’intérieur. C’était ce point qui me faisait peur et stresser, peur de faire un mauvais choix. 

Faire un choix important comme celui-ci peut s’avérer difficile. Pas mal d’éléments sont à prendre en considération. Comment as-tu réussi à faire ton choix ? Quels ont été les facteurs clés de cette décision ?

L’élément prioritaire était le fait de pouvoir continuer mes études. Cofidis a été très compréhensif dans ce sens-là. Ils ont même accepté de mettre dans mon contrat que je pouvais être libérée pendant les semaines d’examens. C’était quelque chose d’important pour moi. Ensuite je voulais continuer le cyclo-cross, sans avoir des gros objectifs comme les coupes du monde. Mais juste pour pouvoir préparer la route. Après, ce qui a motivé mon choix vers Cofidis, c’est que Gaël Le Bellec m’avait contacté 1 an avant. J’avais un bon ressenti avec lui. Puis, c’est une équipe française, donc c’est mieux pour débuter. Je pense que c’est plus facile pour se comprendre avec le staff quand on parle déjà la langue.

Tu viens de signer un contrat avec Cofidis. Quand on a 18 ans, qu’on vient de remporter le titre de Championne du Monde Amateur, et une médaille de bronze au relais mixte des Championnats d’Europe, je pense qu’on se sent sur un petit nuage et qu’on voit sûrement son avenir différemment. Est-ce que tu t’es posé des questions au niveau de la poursuite de tes études ?

Forcément, des fois on doute un peu. Mais je n’ai jamais douté profondément du fait que je voulais continuer les études. Pour moi, c’était une évidence de continuer. Sachant que le vélo, ça ne dure pas toute une vie. Ensuite, je suis jeune, tout peut arriver. Là je marche bien, mais il se peut que dans quelques années ça ne soit plus le cas. Et dans ce cas-là, heureusement que j’aurais fait des études à côté. Puis même, pour l’équilibre, je pense que c’est important d’avoir les études à côté. Par exemple, après les championnats du monde j’étais en vacances et je pensais tout le temps au vélo. J’étais bien contente en septembre d’avoir quelque chose à côté pour pouvoir penser à autre chose que le vélo. Je pense que c’est important d’avoir cet équilibre-là, d’avoir autre chose à côté du vélo, qui nous permet de nous évader, de penser à autre chose et également de se mettre moins de pression sur le vélo.

Les dernières actualités nous montrent qu’il y a une tendance à la déscolarisation dans la catégorie homme. Est-ce que tu penses que cette tendance va arriver dans le monde du cyclisme féminin ?

Oui, je pense que le modèle féminin ressemble de plus en plus au modèle masculin. Donc sans doute qu’il y aura plus de filles qui vont arrêter de plus en plus tôt les études. Je connais des personnes qui ont arrêté leurs études alors qu’elles n’étaient pas encore pros, pour pouvoir passer pro. Pour moi, c’est peut-être une erreur parce que justement quand on arrête les études on se met alors plus de pression sur le vélo et si ça ne marche pas cela devient quitte ou double et devient vite négatif, parce qu’on est seulement dans la spirale du vélo et on n’a rien à côté pour sortir de ça. Je pense que c’est important de garder les études à côté.


Donc les choix de sportifs comme Léa Curinier qui décide de changer d’équipe pour favoriser le double projet. Tu le comprends ?

Oui des changements d’équipe comme ça je comprends tout à fait. D’autant plus que si je ne me trompe pas c’était sa dernière année d’étude. Donc en plus, quand il te reste qu’un an pour finir tes études, forcément tu as envie de continuer et d’aller au bout. Oui je comprends totalement et je pense que c’est important que les équipes comprennent aussi qu’il faut soutenir l’athlète dans le double projet et il faut l’accompagner au mieux car cela permet des meilleures performances plus tard. Simplement peut-être que les équipes ne voient pas à long terme là-dessus.

L’année 2023 touche à sa fin. Quelle va être la suite pour toi ?

Au niveau des cours là c’est plus simple car ma 2e année je l’ai étalée sur 2 ans. Donc au niveau des matières je n’ai que la moitié, donc cela me laisse plus de temps pour m’entrainer. Au niveau des courses, je n’ai pas encore mon calendrier. Après, au niveau de l’université, je dispose des mêmes aménagements que l’an passé, donc ça m’aide beaucoup. C’est un travail personnel pour bien concilier les cours et le vélo. Après la présentation d’équipe de vendredi, je pars pour 1 semaine de stage avec l’équipe, puis après, j’ai des partiels.

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