Agir aujourd'hui pour mieux choisir demain - épisode 4 avec Guillaume Martin

Guillaume Martin est un exemple inspirant pour tous ceux qui rêvent de concilier deux passions. Cycliste français, il rejoint les rangs des coureurs professionnels en 2016, au sein de l’équipe Intermarché Wanty Gobert. Mais depuis 2020, c’est sous les couleurs de la Cofidis que nous pouvons le suivre. En 2020, il remporte le classement de meilleur grimpeur de la Vuelta, avant de se distinguer lors du Tour de France 2021, où il se classe meilleur français de l’édition. Au-delà de sa carrière sportive, Guillaume se démarque par son engagement dans un double projet ambitieux. Titulaire d’un bac+5 en philosophie, quand il n’est pas sur le vélo, il nourrit une passion pour l’écriture. Et on vous l’assure, sa plume littéraire est tout aussi agile que ses jambes sur les pentes de montagne. Pendant ses années d’études, il aura jonglé avec brio entre le monde de sportif de haut niveau et celui des études. Son parcours nous démontre donc que les rêves les plus audacieux peuvent se réaliser avec détermination et passion. 


Pour toi, la notion de double projet commence très tôt. En effet, dès le lycée, tu décides d’intégrer la section sport-études du lycée Saint-Thomas-d’Aquin. Pourquoi avoir fait ce choix ? Quelles étaient tes motivations ?

Alors j’ai eu de la chance, parce que cette section sport et études se trouvait à quelques kilomètres de chez moi. Dans la ville où j’allais être amené à être au lycée. Donc c’était un vrai hasard et en même temps une vraie facilité d’avoir le cyclisme comme matière scolaire. C’était le moment dans une carrière sportive où on doit plus s’entraîner, où les entraînements s’allongent. Donc, si j’avais dû aller rouler après les cours, m’organiser comme cela aurait été compliqué. Le fait que la pratique sportive soit vraiment intégrée aux cours, faire partie d’un groupe, bénéficier des plans d’entraînements d’un entraîneur, c’est une vraie facilité.

Mener ces deux projets de front peut s’avérer compliqué. Est-ce que tu as douté ? Et est-ce que tu as rencontré des obstacles pour mener à bien les deux parcours ?

Des doutes et des difficultés, évidemment que nous en avons toujours. Le chemin vers le professionnalisme, même vers le sport de haut niveau n’est jamais un long fleuve tranquille. Mais par contre, le fait d’avoir toujours ces deux domaines qui sont le cyclisme et les études, est un équilibre. Cela m’a permis de surmonter les difficultés et de ne pas trop déprimer quand ça ne se passait pas bien dans l’un des deux domaines. C’est dangereux d’avoir qu’une seule passion dans la vie, qu’un seul centre d’intérêt, parce que, quand pour X raison, ça ne se passe pas comme on le voulait dans ce centre d’intérêt, vous n’avez plus rien. Donc à mon avis, et même, il ne faudrait pas se limiter à seulement 2 choses dans la vie, il faut avoir le plus de pilier sur lesquels s’appuyer pour son équilibre. 

La préparation à la reconversion a-t-elle été ton moteur motivant le prolongement de ton parcours universitaire ?

Déjà, je n’étais pas du tout sûr de passer professionnel. Donc avant même de parler de reconversion, c’était simplement pour pouvoir faire une formation. Alors après, moi j’étais dans le domaine de la philosophie, donc ce n’était pas une formation extrêmement professionnalisante. De fait, je n’avais pas en tête un métier, c’était par passion et par envie. Je pense que c’est toujours intéressant d’être guidé par son envie, et ensuite, quand on fait ce qu’on aime, les portes, quelles qu’elles soient, s’ouvrent à un moment donné.

Vois-tu des impacts directement liés aux études ou à ta carrière de sportif de haut niveau sur ton développement personnel ?

Non pas vraiment d’impact. Comme je le disais tout à l’heure, c’est le fait d’avoir plusieurs choses dans ma vie qui faisait que j’avais un équilibre. Et même peut-être plus dans l’autre sens. Le fait d’être cycliste qui a un peu orienté mes pensées philosophiques vers certains auteurs plutôt que d’autres parce que j’ai appris des choses sur moi-même dans le sport. J’ai appris beaucoup de choses que ça soit sur moi-même, sur l’environnement et sur les autres, par le sport.

Tu possèdes deux casquettes. Celle de cycliste professionnel et celle de littéraire. Si tout était à refaire aujourd’hui, en 2024. Est-ce que tu ferais les mêmes choix, notamment celui de continuer les études ?

Oui bien sûr ! Après oui, il y a peut-être eu des erreurs de parcours, mais je les assume et elles m’ont conduite là où je suis ! Je suis très heureux du parcours que j’ai suivi. 

L’investissement précoce et à outrance de très jeunes pratiquants peut conduire à des situations de déplaisir ou de contre-performance – peux-tu en témoigner ?

Oui, il y a différents niveaux plus ou moins proches. C’est le cours des choses que d’avoir des cyclistes qui arrivent chez les pros de plus en plus jeunes. Parce que c’est une évolution, où on est performant de plus en plus jeune, où il y a une vraie quête à la performance d’ailleurs, tout court. Mais cela ne va pas sans aucun risque, ni sans aucun danger. Je ne sais pas s’il y a une possibilité d’enrailler ce mouvement. Par contre, il faut peut-être mieux l’encadrer, pour s’assurer effectivement, que ces jeunes n’ont pas que le cyclisme dans la vie. Être cycliste, ce n’est pas seulement la partie sur le vélo. Ce sont tous les à-côtés, avoir une certaine pression à assumer comme maintenant, c’est un métier qui est ancré dans son temps, qui nécessite de savoir gérer les réseaux sociaux. Donc il faut un bagage global pour surmonter tout ça. Je pense que cela passe en grande partie par les études.

Est-ce que tu mettrais un warning sur le fait d’être professionnel de plus en plus tôt ?

En-tout-cas, si c’est fait d’une manière débridée, s’il n’y a pas de possibilité de continuer ses études en même temps, oui cela me semble dangereux. Mais est-ce que c’est possible de réglementer le passage professionnel à un certain âge, cela me semble compliqué. Donc, la solution me semble être de mieux accompagner les jeunes, pour qu’ils soient armés en arrivant si jeune, aussi haut.

Donc cela pourrait se faire via des incitations particulières de la part de clubs ou de fédérations par exemple, pour favoriser le double projet ?

Oui, c’est ça. Des clubs, des fédérations, même des équipes pros qui continuent à avoir une responsabilité à mon sens ou qui devrait en tout cas. Je pense que quand on accueille quelqu’un de 19 ans dans son équipe, on ne doit pas le traiter de la même manière que quand il a trente ans. On a une sorte de responsabilité par rapport à ça. C’est une responsabilité des équipes pros, puis également, avant ça, des clubs formateurs et de la fédération.

Si nous prenons des exemples de sportifs qui ont fait l’actualité ces derniers jours suite à des performances. Par exemple, Léon Marchand et Louis Bielle-Biarrey. Tous les deux, on fait le choix de poursuivre leurs études et sont aujourd’hui au plus haut niveau dans leur sport respectif. Est-ce qu’il est nécessaire pour les jeunes sportifs de s’identifier à des personnes comme celles-ci ?

Oui, c’est sûr qu’il faut des exemples de personnes qui montrent que c’est possible. C’est possible de tout faire et qu’on n’est pas moins bon. On est peut-être même meilleur. Parce qu’on a un bagage complet, parce qu’on sait gérer l’a côté du sport et parce que aussi, on a cette sérénité sur l’après carrière qui est donné par les études. Il faut voir sur le long terme, sans penser aux résultats immédiats, à la performance immédiate, ce qui est difficile dans le sport, mais essayer d’avoir une réflexion sur le long terme.

Est-ce que, quand tu es rentré à la Wanty, est-ce que tu pensais directement à la performance ou alors tu étais plus raisonné à ce sujet ?

Tout à fait, mais c’était même le cas quand j’étais amateur. Je n’avais pas à tout prix cette idée de passer professionnel. Après, une fois que j’étais professionnel, j’avais déjà un master en philosophie, j’avais déjà bien avancé sur le plan universitaire. Donc c’est vraiment avant de passer professionnel, que j’ai décidé de maintenir ses deux domaines pour avoir cet équilibre.

Tu as écrit trois ouvrages, comment tu as su jongler entre cyclisme et ta deuxième passion pour l’écriture ?

Aujourd’hui, mon métier, c’est cycliste. Donc ma priorité, c’est le vélo et par égard, mes sponsors, mon équipe. Je n’ai jamais privilégié l’écriture, c’est toujours venu après. Cela venait lors de mes temps morts de cycliste. C’était comme une récréation qui m’aidait à penser à autre chose. Par exemple, face aux déceptions sportives qui ont eu lieu. Le fait d’écrire était un moyen de me détendre et de me remobiliser après un échec.

De par ton expérience, quels conseils donnerais-tu aux jeunes sportifs, qui hésitent entre se consacrer entièrement à leur sport ou poursuivre des études ?

Surtout ne pas hésiter. J’ai beaucoup entendu dire, qu’il allait falloir que je choisisse à un moment donné. Que c’était impossible de mener les deux de front. Notamment, lorsque j’étais en classe préparatoire littéraire aux grandes écoles. Que c’était une formation à l’excellence et que je n’aurais pas une minute à moi. En fait, mon conseil, c’est de ne pas écouter les gens qui vous disent ça, car c’est possible, c’est vraiment possible de faire tout de front et on n’est pas moins bon, on est même meilleur.

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